Démarche artistique

Mon travail s’articule autour de la pratique du dessin, de la sculpture et de l’installation. Il consiste à déplacer de manière poétique la fonction première d’objets utilitaires, quotidiens et standardisés pour produire des formes hybrides et organiques. Ces objets, conçus pour des usages précis et souvent perçus comme insignifiants au-delà de leur fonction, deviennent, dans mes œuvres, des matériaux bruts sublimés sous des formes de la nature, que j’utilise comme vecteur pour questionner les notions d’uniformisation et de conformité. J’interroge ainsi les mécanismes sociaux et culturels qui imposent des normes et met en lumière, par contraste, les concepts de monstre et de curiosités qui surgissent avec elles : qui sont réellement les monstres dans un monde façonné par ces critères ?

J’opère le renversement des objets à travers un processus de travail simple et organisé. Pour chaque œuvre, je les utilise en quantité excessive et de même calibre, en privilégiant le recyclage, la récupération ou l’achat en gros. Puis, dans une logique de répétition du geste, je transforme leur apparence initiale en les soumettant à différentes étapes de démantèlement pour, une fois dysfonctionnels, les recomposer sous la forme d’étranges artefacts. J’exploite leurs propriétés physiques et esthétiques à la main, avec peu d’outils et sans savoir-faire particulier, dans une économie volontaire d’expertise et de moyens. Une forme de « bricolage » lent et calme – à l’inverse du mode de production industriel – qui fait naitre des gestes accidentels parfois heureux, dont je tire parti pour donner forme aux œuvres. La répétition du geste, quant à elle, n’est pas sans rappeler le labeur d’un tissage ou du travail à la chaîne, soulevant la question de l’engagement et de la performativité du corps dans mon processus artistique. Mon travail étant le résultat d’un dialogue physique entre mon corps et la matière, ce dernier devient alors un outil de création, investi dans l’impossible tâche d’égaler l’efficacité et la productivité d’une machine, toujours rappelé à sa fragilité, confronté à son imperfection et sa condition humaine.

Mes œuvres portent en elles les traces de cet investissement corporel : elles sont les vestiges et les témoins de mes efforts, évoquent l’épuisement du corps mis au travail. Elles sont des fragments qui se dégradent avec le temps, évoquent symboliquement l’idée de la ruine. De petites à grandes dimensions, parfois monumentales, elles prolifèrent et se déploient de façon modulable dans les espaces où elles sont exposées sous la forme de curieux subterfuges de la nature, s’adaptant aux caractéristiques architecturales des lieux ou, au contraire, créant des décalages et des contrastes marqués. Dans cette logique de déploiement et dans une préoccupation perpétuelle d’investir l’espace par des formes et des couleurs, les frontières entre le dessin, la sculpture et l’installation se dissolvent. Les œuvres deviennent des créatures et des trophées inquiétants,des beautés monstrueuses qui oscillent entre le morbide et le précieux, avec parfois des airs faussement naïfs, grotesques ou farfelues. Mon travail incarne un monde chimérique, où le spectateur est invité à s’immerger, à déambuler pour contempler de près ces créatures hybrides et énigmatiques qui, avec leurs différents niveaux de lecture, sèment un trouble. Dans une tension et une ambiguïté déroutante, mon travail rend un hommage à la fois ironique, poétique et universel à un monde qui se transforme, s’épuise et s’asphyxie sous le poids de sa propre productivité. Il interroge notre rapport aux objets, leur surproduction et leur surconsommation, leur impact sur notre environnement, nos façons de penser et nos corps. Il est un miroir qui interroge cette volonté et obsession qu’a l’humain de standardiser le monde, le vivant et les choses.

Julie Maquet