Démarche artistique

J’ai une pratique du dessin, du volume et de l’installation qui consiste à déplacer de manière poétique la fonction première d’objets utilitaires, calibrés et standardisés afin d’interroger justement les notions de standard, de norme et de conformité mises en place par le monde humain, et qui font ainsi apparaître et exister avec elles la notion de monstre et de curiosités. Plus globalement je pose la question : qui sont les monstres ? Je travaille avec des objets manufacturés et des matières industrielles achetés en gros, comme recyclés ou récupérés, auxquels on ne s’intéresse pas au-delà de leur usage domestique et pratique. J’utilise le potentiel esthétique et les propriétés physiques de ces objets ou matières afin de produire des artefacts qui évoquent la nature, vecteur par lequel je passe pour proposer mes interrogations. Ces artifices qui associent au sein d’une même forme nature et production industrielle, ont des formes hybrides, ambiguës et organiques, animales, végétales ou minérales, et peuvent avoir parfois une dimension sexuelle forte.

Le déplacement des objets s’opère à travers un processus simple, parfois précaire, mais organisé, d’une accumulation d’un objet et de la répétition d’un geste intuitif, hasardeux ou réfléchi, qui rappelle le labeur d’un tissage ou du travail à la chaîne. Par ailleurs, j’aime sublimer la matière en intervenant à la main sans savoir-faire particulier et avec peu d’outils, sur des objets fabriqués par des machines. Je travaille les objets avec une forme d’amateurisme, et cette idée du « fait main » rappelle une forme de précarité liée au bricolage, rendu possible par le temps passé à faire des tentatives et des manipulations diverses en atelier, d’objets en tout genre, permettant ainsi à des gestes intuitifs, aléatoires et accidentels de voir le jour. Souvent, j’exploite le caractère hasardeux et inattendu de ces manipulations d’objets, pour en faire une base de travail. Parfois, je choisis également de ne pas contrôler complètement la matière, et de laisser une part de hasard agir sur la forme de l’œuvre, ou de faire cohabiter des gestes contrôlés avec des gestes aléatoires.

En volume comme en dessin, j’essaye d’être aussi efficace et productive qu’une machine, mais sans jamais réussir à en égaler les performances. A travers ce désir d’automatisme, mes sculptures évoquent l’épuisement du labeur et apparaissent aussi comme des vestiges, des fragments ou des ruines, parfois grotesques, fantaisistes ou farfelues, souvent faussement naïves. Elles prennent la forme de trophées, de beautés monstrueuses, de curiosités morbides, précieuses, inquiétantes, rappelant à chaque fois le corps humain. Leur mise en espace est très souvent modulable, selon les caractéristiques des lieux dans lesquelles elles sont présentées. Je les fais aussi volontairement s’accorder comme digresser de leur contexte de réalisation et d’exposition, ce décalage d’une œuvre avec son contexte permettant de faire apparaitre la dimension de curiosité. Les œuvres deviennent alors des subterfuges qui suggèrent un monde chimérique, à la fois vivant et artificiel, en référence aux artificialias exposées dans les cabinets de curiosités. Ainsi, mon travail est un funeste hommage, poétique et ironique, à notre monde asphyxié d’objets et de surproductions en tout genre, qui façonnent nos gestes, nos façons de pensée et nos corps. Il est un miroir qui interroge cette volonté et obsession qu’a l’humain de standardiser le monde, le vivant et les choses. 

                                                                                                                                         Julie Maquet